24 heures dans la tête d’une fille en surpoids

À toi, mangeur normal ne souffrant pas d’une relation toxique avec la bouffe, cet article est pour toi. Je veux que tu comprennes ce qu’un trouble alimentaire, comme l’hyperphagie boulimique, peut faire au mental d’une personne. Tu me diras après si ça “spin” comme ça dans ta tête. Peut-être que ces quelques mots t’aideront à comprendre la réalité de la p’tite grosse que tu viens de voir manger une barre de chocolat et t’éviteront de penser “c’est pas comme ça que tu va maigrir, ma grosse”.  The struggle is real, man.

Au réveil

  • La première chose à laquelle je pense, c’est à mon corps. Me semble-t-il plus gros qu’hier? Moins gros? 
  • Je vais pisser. Quand je me lève de la toilette (il y a un miroir directement devant le trône), je ne regarde que mon ventre et j’ai toujours une réaction négative, genre “ouache!”. Je me dépêche de partir.
  • Je mets ma robe de chambre – qui semble me rajouter 5 lb autour de la taille – et je vais à la cuisine

Au petit-déjeuner

  • Merde! Je viens de passer devant un autre miroir. Ouf, la face tout croche et les cheveux en broussaille. Pas joli, joli. 
  • Je tourne en rond dans la cuisine en me demandant ce que je devrais manger. Je ne sais même pas si j’ai faim; tout ce que je sais, c’est que je dois (je veux) manger. On sait tous que le petit-dej est le repas le plus important de la journée, qu’on ait faim ou pas! Je ne cherche pas à savoir ce qu’il me plairait de manger, mais bien ce qu’IL FAUDRAIT que je mange. Torture #1. 
  • Torture #2 : je mange. Si mon état mental n’est pas si mal et si ma résolution de la veille tient la route (je me suis promis de moins manger aujourd’hui, d’être une bonne fille), je vais manger léger, comme un minuscule yogourt sans goût mais plein d’agents de conservation.  Ou au contraire, je vais m’enfiler 3-4 rôties bien garnies d’un sentiment de culpabilité qui croît avec chaque bouchée. Ces deux possibilités vont influencer énormément comment je vais me sentir pour le reste de la journée. Cela dit, les probabilités que je m’empiffre ce soir devant la télévision sont fort élevées. À moins d’avoir réussi à enfin tenir le coup. C’est peut-être enfin le début d’une bonne période?

Au moment de s’habiller 

  • J’essaie de trouver des vêtements qui vont laisser croire aux autres que je me sens bien. On oublie ça de trouver des vêtements dans lesquels je me sens top. Je vais prendre les moins pires. Il se peut que je change quatre fois d’idée, car rien ne me plaît vraiment. Mes vêtements sont plus attrayants sur le cintre que sur moi. Mais bon. Je vais me rappeler qu’il y a des habits qui m’ont valu des compliments un autre jour, et je risque d’opter pour eux, histoire de me sentir moins moche.

Au travail 

  • J’espère ne pas tomber tout de suite sur la petite mince toute cute que tout le monde remarque. Ishhh. Elle est bien gentille, mais au fond de moi je l’envie, la maudite. Pourquoi ne suis-je pas capable moi aussi de garder ma ligne????
  • Dans mon bureau, à l’abris des regards, je me sens mieux.
  • En réunion, ça m’énerve d’être la seule qui ne peut pas croiser ses jambes sans devoir les retenir avec ses mains ou avec le pied de la table. Les autres sont détendus, pas moi. Si on a le malheur d’avoir une réunion en vidéoconférence, je me regarde sur l’écran et je constate que je détonne. Merde. Peut-être si je me mets hors champs, ça serait parfait?
  • Quand je croise les gens, je remets mes vêtements en place pour essayer de cacher les bourrelets. C’est automatique. Quand je m’assieds, c’est la même chose.

À la pause

  • N’est-ce pas des chocolats Lindt que j’ai vus dans le bureau de ma collègue? Si elle n’est pas là, peut-être pourrais-je en prendre quelques-uns sans que ça paraisse? Je ne veux pas que quiconque me voit avec ça dans les mains. Il vaudrait mieux que je prenne un verre d’eau, mais ces chocolats sont tellement bons!

Le midi

  • Si j’ai apporté ma petite salade sans goût, je mange avec fierté dans la salle commune. Je regarde les autres qui ont des mets sur lesquels je me jetterais comme une hyène sur un animal blessé, mais bon, il paraît que ça ne se fait pas.
  • Quand je mange en présence d’autres personnes, je m’imagine ce qu’ils se disent en me regardant manger (surtout quand j’en suis au 3e petit pain et qu’ils n’ont même pas fini le leur).
  • Si par malheur, j’ai opté pour m’acheter un truc à la cafétéria, j’essaierai de me convaincre, en route, que je n’achèterai qu’un petit truc (salade, légumes crus), mais rendu sur place, la pizza garnie risque fort de m’attirer jusqu’à elle comme un pedler dans une foire  une grosse truie. C’est clair que je vais manger dans mon bureau, où je peux me cacher et manger en paix. 

Au retour à la maison

  • Je m’arrête au petit magasin pour acheter du lait. J’entre, et là, le dialogue interne commence. « J’ai tellement faim, mais je ne dois pas manger tout de suite! » Je vais chercher le lait, mais je tourne un peu en rond, débattant avec moi-même.  « Et si je m’achetais un petit biscuit? Ça serait mieux qu’un sac de croustilles. Mais la barre de chocolat m’appelle aussi. » Et là, je tergiverse. Quoi faire? Et mon ventre qui crie famine.  « Il n’y a personne dans le commerce. Si je m’achète une barre de chocolat, il n’y a que le caissier qui va pouvoir penser que je manque de volonté. Pas si pire, après tout. Et qu’il aille se faire foutre le connard! J’ai le droit de m’acheter cette barre, et en plus, je la mérite après la journée que j’ai eue! » Alors j’achète rapidement (avant qu’un client entre) la barre Mars DOUBLE. « Ben quoi? Elle est en spécial. Je pourrai garder la moitié pour un autre jour. » Rendue dans l’auto, je me tape toute la barre, à l’abri des regards. 

Au souper

  • On cuisine le repas prévu (oui, je planifie tout afin de respecter mes règles alimentaires). C’est un peu long, donc je grignote ici et là (même si je viens de me taper une barre Mars double). On s’assied à la table et on mange. Après deux bouchées, je n’ai plus vraiment faim, mais c’est tellement bon. Je finis mon assiette. Parfois, j’en laisse dans mon assiette pour avoir l’air de suivre mon régime.  

En soirée 

  • Je devrais faire de l’exercice, mais je n’ai plus d’énergie. Je me sens pleine au bouchon. Il ne faut surtout pas que je passe devant un foutu miroir, car je vais avoir l’impression d’avoir pris 20 lb. 
  • C’est le temps d’écouter ma série Netflix. Je m’installe devant la télévision et je prends un bon grand verre d’eau. C’est parti! Trente minutes plus tard, j’ai le goût de me prendre “un petit quelque chose”. Ce petit quelque chose est effectivement petit et « santé » (selon nos propres règles alimentaires), et je retourne regarder mon émission. Puis, j’ai le goût d’un autre petit quelque chose, mais cette fois-ci, peut-être salé? Oh, je vois le sac de maïs soufflé. Bah, tant qu’à faire, je sais que j’ai bousillé ma journée, donc ce n’est pas ça qui va y changer quelque chose. Allons pour le sac!  Je n’en peux plus de manger, et c’est très étrange, car plus je mange, plus je veux manger. C’est comme si quelqu’u avait pris possession de moi. À un moment donné, je n’en peux plus (mal au ventre ou sentiment de honte), et je décide d’aller me coucher. Je me sens énorme et sans attrait. Je suis encore déçue de moi-même.

Au coucher

  • Je vais d’abord me laver. Quand je prends un bain, je passe mon temps à faire bouger le gras de mon ventre et j’imagine ce qu’il aurait l’air si tout ce gras n’était pas là… Un moment qui devrait être un moment de détente et d’amour de soi devient un moment d’auto-flagellation. 
  • Je sors du bain et je vais dans la chambre. Ça me gène quand je me déshabille devant mon mari, car je ne veux pas qu’il voit mon ventre qui pend quand je me penche. On est loin de la pitoune super bien tournée qui se déshabille avec un regard langoureux dans les yeux. Oh, je suis chanceuse, il regarde son cellulaire.
  • Et oui, il y a un autre foutu miroir près de mon lit (va falloir faire quelque chose avec ces miroirs!!!!). Au moment où je me couche, je ne vois que le gras de mon ventre et de mes hanches. Je détourne rapidement le regard.  
  • Mon mari aimerait peut-être que je porte de jolis déshabillés. Oublie ça, mon minou! Je trouve que j’aurais l’air ridicule dedans, un peu comme les grosses dont on rit dans les films. No way.
  • Mon mari vient se mettre en cuillère avec moi. Ishhhh. Quand il met son bras autour de ma taille, ça m’écoeure, car je sais qu’il peut sentir tout le gras qui penche sur le côté. Alors, je me retourne pour MOI me coller en cuillère contre lui. Ainsi, il ne peut pas sentir mon corps difforme (ouais, ok, j’exagère, mais parfois c’est comme ça que je le perçois).
  • Oh ciel, mon mari veut faire l’amour. J’adore faire l’amour. Mais pas dans ce corps. 
  • Quand je fais l’amour avec mon mari, j’imagine ce qu’il peut être en train de voir, et ça me dégoûte. Il y a certaines positions que je ne veux pas prendre pour ne pas que ça soit dégueu. Même quand je me déplace dans le lit, je pense à ma façon de bouger pour ne pas qu’il voit trop mes bourrelets. Pas facile d’atteindre l’orgasme quand tu restes dans ta tête à te juger. Je désire vraiment mon mari, mais je n’arrive pas à comprendre qu’il ait encore du désir pour moi. C’est peut-être juste un besoin physiologique qu’il doit assouvir?  
  • La dernière chose que je fais avant de m’endormir, même si je viens de faire l’amour, c’est de faire le bilan (dans ma tête) de ma journée et ainsi conclure si j’ai été bonne ou mauvaise.
  • C’est faux. La véritable dernière chose que je fais, c’est de me promettre que demain je suivrai à la lettre mes règles alimentaires 

Bonne nuit!

C’est vrai qu’on ne passe pas toujours ses journées avec l’esprit aussi torturé, mais je peux vous affirmer que de telles journées, j’en ai eues en masse. Et c’est pour y mettre une fin que je poursuis ma thérapie. Donc, mes chers mangeurs normaux, ayez de l’empathie et de la bienveillance avec les gros qui vous entourent (et tant qu’à faire, avec tout le monde!). Vous n’avez pas idée de la souffrance qu’ils ont vécu ou qu’ils vivent encore s’ils n’ont pas réglé leurs bibittes dans leur tête.